Introduction
La prédation est l’un des éléments vitaux des serpents. L’art de se trouver des proies a évolué de différentes manières selon le biotope et les moeurs de l’ophidien. La corrélation entre la méthode de chasse et le type de proie est évidente.
La chasse
La première forme, évidente, est la chasse. Le serpent parcourt de plus ou moins grandes distances afin de trouver ses proies. Sans pour autant en faire une généralité, c’est le cas, entre autre, d’un grand nombre de colubridés et d’élapidés.
L’importance sera alors de manger suffisamment de proies pour parcourir les distances, se reproduire ou fuir un prédateur, mais pas trop pour ne pas avoir une surconsommation énergétique dû à une digestion trop importante, bloquant également les possibilités de fuites.
Sans vouloir tout généraliser, les serpents « chasseurs » mangeront de plus petites proies, mais plus régulièrement.
Embuscade
Tout comme les « chasseurs », les serpents qui chassent en embuscade suivent des traces olfactives afin de connaître une zone « fréquentée » par leurs proies et s’y placer. À ce stade, il y a deux « méthodologies » décrites ci-dessous:
Camouflage
C’est une forme de mimétisme dans laquelle l’animal se confondra avec son environnement. L’exemple le plus connu est probablement celui de la Bitis gabonica dont les motifs les confondent parfaitement dans les feuilles mortes. Cette forme leurs permet également de passer inaperçues auprès de leurs prédateurs.
Le leurre
Certaines espèces, en plus du camouflage utiliseront le leurre, communément appelé « Luring » (Anglais) pour attirer les proies. Cette forme de chasse consiste à avoir sur une partie du corps, généralement l’extrémité de la queue, un appendice qui ressemble à une proie (un vers de terre par exemple) qu’ils remuent pour accentuer la similarité. Ce cas est connu de bon nombre de vipéridae et pythonidae.
La frappe
La mécanique de la frappe varie avec la taille et la forme du serpent. Deux considérations sont les plus importantes. Tout d’abord, une forte inertie ou une certaine quantité d’ancrage est nécessaire pour éviter que le serpents ne fasse une frappe mal ciblée ou totalement déviée. Par conséquent, sur les surfaces planes (horizontales), la résistance aux mouvements indésirables, attribuable aux forces propulsives, peut être assurée par l’ancrage contre des irrégularités dans le substrat ou par l’inertie attribuable à une masse importante, ou les deux.
Lorsqu’un serpent frappe, les deux mandibules sont abaissées et les arcs palatomaxillaires sont déplacés vers le haut tandis que la tête est rapidement accélérée vers la proie. Les ptérygoïdes avancent avec les ectoptérygoïdes, soulevant le maxillaire et poussant les préfrontaux vers l’avant. Cela fait fléchir le museau et le cerveau vers le haut et tend à incliner les dents vers l’avant dans un mouvement de poignard.
Les mouvements de la tête sont considérés comme importants pour l’érection des crochets, tandis que les mandibules sont les premiers éléments à entrer en contact avec la proie. Ces mouvements sont inversés lorsque les mâchoires se referment, rapprochant les os porteurs de dents et engageant les dents dans la proie. La mâchoire inférieure est poussée vers l’avant pendant la frappe et est rétractée lorsque la bouche se ferme.
Les temps de réaction nécessaires pour que les muscles de la tête et du tronc s’activent ou se désactivent pendant les mouvements de frappe, sont inférieurs à 15 msec, et peuvent être de la moitié de ce temps.
La durée totale des attaques prédatrices typiques qui ont été étudiées chez les vipéridés varie de 150 à 500 ms, et le délai entre le début d’une frappe et le contact avec la proie est généralement d’environ 50 à 100 ms. Ces temps peuvent varier en fonction de la taille du serpent et de ses proies.
La morsure
Viperidae/Crotalidea/Elapidae
Dans le cas des serpents venimeux, les espèces plus grosses possédant des crocs allongés ont tendance à s’envenimer et à relâcher rapidement la morsure de la proie si elle est grande et potentiellement dangereuse. Ceci est particulièrement vrai pour les proies de types mammifères qui peuvent lutter vigoureusement, mordre, tirer et gratter. Si la proie est relativement petite ou inoffensive, cependant, le serpent maintient souvent la prise sur l’animal et le maintient fermement dans sa bouche (avant de l’avaler) jusqu’à ce que la proie cesse de se débattre. En effet, les tactiques mordantes des serpents dépendent de la nature de leurs proies.
Des études récentes d’Eli Greenbaum, David Chiszar et d’autres ont démontré que les crotales et les Agkistrodon contortrix peuvent reconnaître une proie qui est envenimée par des animaux spécifiques et la préfère aux proies non envenimées. Cependant, les proies qui sont envenimées par une espèce éloignée ne sont pas référées à une proie ou à une proie non envenimée qui est envenimée par un autre individu de la même espèce. Le comportement des proies envenimées mordues et suivies permet à un serpent de distinguer un animal, disons une souris, des traînées qui sont faites par d’autres souris vivant à proximité. Cela conduit le serpent à l’animal qui succombera au venin au lieu de perdre son temps et son énergie à suivre d’autres sentiers.
Les Agkistrodon piscivorus sont un excellent exemple de variabilité frappante, dans la mesure où ces serpents ont un régime généraliste et prennent un large éventail de proies. Si la proie est morte ou petits poissons, une grenouille, ou même une souris juvénile, les proies sont avalées immédiatement après avoir été mordues, alors que les rongeurs plus grands sont frappés et envenimés, relâché, suivis et consommés plus tard. Ce dernier comportement semble être une stratégie courante chez les vipéridés qui s’attaquent à des rongeurs ou à des petits mammifères de plus grande taille qui pourraient infliger des dommages considérables s’ils ne sont pas immobilisés.
Un autre exemple de «morsure et libération» est la tactique employée par les Kraits qui sont des serpent marins (par exemple, Laticauda colubrina) pour envenimer des poissons dangereux comme les murènes tout en minimisant la probabilité d’être blessés. Ces serpents cherchent des murènes en pénétrant dans des trous parmi les coraux, et s’il en trouve un, le serpent mord et envenime rapidement l’anguille, puis se retire rapidement et attend que le venin agisse. Le serpent rentre un peu plus tard dans le trou pour avaler l’anguille après qu’elle ait succombé au venin.
Boidae / Pythonidae
Les constricteurs (non-venimeux) tels que les boas et les pythons conservent nécessairement la morsure sur leur proie, qui doit être rapidement enveloppée et soumise à des enroulements contraignants.
Les serpents arboricoles qui mangent les oiseaux ont tendance à mordre et à tenir parce qu’il serait difficile de suivre les proies si elles étaient relâchées.
les opistoglyphes
Les espèces optistoglyphes ont aussi le comportement de mordre, de retenir et d’avaler directement leurs proie du fait de la position de leurs crochets placés au fond de la bouche qui leurs demande une certaine mastication afin de pénétrer la proie et faire ainsi agir leur venin.
Cas particulier
La taille de l’aliment qui peut être consommé est limitée par la taille maximale de l’ouverture de la bouche. Hors, certaines espèces telles que Gerarda prevostiana et Fordonia leucobalia (famille des Homalopsidae), qui se nourrissent de crabes, ont des ouvertures de mâchoire plus limitées. Ces serpents ont donc du s’adapter en déchiquetant et en consommant des morceaux de crabes nouvellement mués, qui sont trop grands pour être avalés intacts. Cette innovation évolutive est surprenante, car les dents aciculaires et les os très mobiles qui facilitent la capture et l’engloutissement de grandes proies entières par les serpents sont mal adaptées, à la fois à couper et à générer de grandes forces de morsure.
En revanche, ils ont conservés de façon évolutive, les modèles d’enroulement habituellement utilisés par de nombreuses espèces de serpents constricteurs.
Le biotope
les points d’eau
À l’exception des serpents 100% désertique, qui se réhydrateront à la rosée du matin, les serpents ont régulièrement un point d’eau non loin de leur place. Ceci peut paraître évident puisque à la foi l’animal, ses prédateurs et ses proies auront le besoin de s’hydrater. Par exemple, le genre Echis choisi des oasis comme lieu de prédation.
Changement ontogénique
Les serpents grandissent tout au long de leur vie. En grandissant, les proies présentes dans un environnement ne conviennent plus aux besoins énergétiques et le serpent doit alors s’éloigner de son point d’origine pour en trouver à des tailles plus adaptées. C’est le cas connu des Morelia viridis, qui s’enfoncent dans la forêt en grandissant. La capacité à pouvoir se camoufler des proies et prédateurs devient une nécessité et ainsi le changement ontogénique s’opère.
Comportements anti-prédateurs
En neurobiologie, il existe 4 réactions de survie gérées par l’amygdale généralement nommées en anglais, « freeze » (immobilité), « flight » (fuite), fight (combat) & le dernier, « feinth » ou « death feinth » (feindre la mord) (HOPPER, Earl. , 2018; EILAM, David, 2005;BOHUS, Béla, KOOLHAAS, Jaap M., LUITEN, Paul GM, et al., 1996; MISSLIN, René., 2003), et parfois nommé « FFS system » (CORR, Philip J. JA, 2002) Ces réactions de survie surviennent uniquement dans des situations négatives où la peur prédomine. Les ophidiens n’échappent pas à la règle et ce sont des comportements qui sont facilement visibles (NAVARRO, Joe et KARLINS, Marvin., 2008). La réaction d’immobilité s’explique par le fait que l’oeil est attiré par ce qui bouge. Devenir imperceptible grâce à l’immobilité est donc la réaction la moins couteuse en énergie. Cette réaction prépare également les corps à la réaction suivante en oxygénant d’avantages les organes vitaux et ceux permettant la fuite (afflux de sang). Si la fuite n’est pas possible, le combat sera alors utilisé comme moyen de défense. Enfin, si le combat ne fonctionne pas, la dernière solution sera de feindre la mort. En effet, la proie (ici le serpent) représente potentiellement moins d’intérêt à un attaquant que s’il est vivant. Il n’est pas nécessaire pour le cerveau de passer par toutes les phases. Dans un premier temps, parce que le contexte justifiera plus rapidement l’une ou l’autre des réactions et d’une autre part parce que la première sélectionnée peut suffire à éviter le prédateur .
Une étude publiée en 2018 a mis en évidence une diminution des comportements anti-prédateurs pour les espèces insulaires (RASHEED, Ayesha A., HAMBLEY, Kristina, CHAN, Gabriel, et al., 2018). Ceci s’explique par une plus faible présence de prédateurs sur les îles que sur le continent. Par conséquent, l’étude démontre que les comportements anti-prédateurs, couteux en énergie, sont également adaptés à l’environnement de l’individu.
Sources
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